8 4 4 A P P E N D I X B A la dernière séance de discussion, le 7 avril, la question de la catastrophe Hadamard a donné l’occasion à M. Painlevé de poser quelques questions à Einstein au sujet de sa for- mule de gravitation et des formules analogues par le moyen desquelles on peut essayer d’exprimer les phénomènes nouveaux (déplacement du périhélie de Mercure, déviation de la lumière par la gravité) constatés en mécanique et en optique céleste. Il s’en est suivi une discussion extrêmement brillante et animée, si vive par instants que tout le monde parlait à la fois. A un moment donné, tandis que MM. Hadamard et Painlevé échangeaient sur la signification des formules en question les arguments les plus vifs et les plus contradictoires, on vit soudain M. Brillouin, qui avait renoncé à pouvoir glisser un seul mot parmi les phrases pressées des deux adversaires, se précipiter au tableau, une craie éri- gée dans sa main, en criant: «Puisque vous parlez, moi j’écris car le plus simple lorsqu’une quadrature peut se faire c’est encore de l’écrire!» Ainsi il obtint sans desserrer les lèvres l’attention d’un public haletant. Ce fut vraiment une belle bataille et un sport réconfortant. Les adversaires d’ailleurs faisaient assaut de courtoisie quelque peu agressive et on entendit à un moment M. Painlevé crier à M. Hadamard: «Je ne vois pas ce que la discussion gagne à être conduite comme ça: mais continue, je te prie»: et, l’instant d’après, il s’excusa: «Je vous demande pardon de ne pas me faire comprendre …» Pendant que ce cliquetis d’argu- ments entrechoqué, écrits ou verbaux, mais tous rapides et fulgurants, remplissait la salle de tumulte et le tableau d’intégrales élégantes aux cols inclinés pareilles à des cygnes blancs, Einstein assis parmi la tempête souriait et se taisait. Puis soudain levant la main comme un écolier qui sollicite une faveur magistrale «M’est-il permis de dire aussi une petite chose?» demanda-t-il doucement. Tout le monde rit, Einstein parla dans le silence soudain rétabli, et en quelques minutes tout était clarifié. Voici comment on peut résumer, je crois, l’essentiel des précisions apportées par lui, et qui mettent nettement au point les principales questions soulevées. Il s’agissait avant tout de savoir ce que représentent les quantités entrant dans la formule de gravitation d’Einstein et en particulier le rayon vecteur, c’est-à-dire la ligne qui joint le soleil et chaque planète. […] En un mot, les grandeurs qui entrent dans la nouvelle loi de gravitation sont des gran- deurs concrètes. […] Dans ces conditions les données astronomiques sont définies d’une manière parfaitement concrète et objective. Il n’y a plus que des règles et des horloges, il n’y a plus d’observateur, tout ce qui est subjectif est éliminé. C’est là, suivant l’expression d’Einstein, une manière en quelque sorte absolue de défi- nir les quantités mesurées en astronomie, puisqu’il n’est plus nécessaire de les rapporter à un observateur donné. Telles sont les quantités concrètes, objectives, mesurables qui entrent, sans aucune am- biguïté, dans la formule de gravitation d’Einstein. On peut assurément, par cette métamor- phose mathématique, par ces changements de variable qu’on appelle des transformations ponctuelles, trouver d’autres formules plus ou moins différentes de gravitation, mais ces transformations ne changent rien aux choses observables et objectives telles qu’elles vien- nent d’être définies. [p. 157] [p. 158]