E I N S T E I N D I S C U S S E S H I S T H E O R Y 8 4 5 Il n’y a donc réellement, selon Einstein, qu’une formule unique établissant une relation univoque entre les quantités mesurées, c’est celle que M. Painlevé a appelée spirituellement «la formule classique, la formule déjà classique de gravitation d'Einstein.» […] «On peut, conclut-il, toujours définir, mais il faut définir physiquement.» Ainsi s’acheva le cycle de ces mémorables discussions. Et si, comme le dit M. Langevin en les déclarant closes, on n’y aborda pas toutes les questions qui se posent, du moins, toutes les questions posées y reçurent une réponse satisfaisante. De ce tournoi, la théorie d’Einstein sort inébranlée, Einstein lui-même sort grandi. Comme me le disait, d’une image fort juste, M. Painlevé, l’oeuvre du célèbre physicien s’y est montrée pareille à un cube de granit parfaitement cohérent et rigide que ne pénètre aucune fissure. […] La séance de discussion qui fut tenue en Sorbonne, le jeudi 6 avril, par la Société fran- çaise de Philosophie, ne fut pas inégale en intérêt aux controverses physico-mathématiques du Collège de France. […] Après une allocution heureuse du président de la Société, M. Xavier Léon, le débat fut engagé par un profond et remarquable exposé de M. Langevin qui aurait pu s’intituler «Pourquoi les philosophes doivent s’intéresser à la théorie de la Relativité.» Le savant phy- sicien y décrivit avec une magistrale clarté tout ce qui, du point de vue méthodologique et épistémologique, fait la force et la séduction de l’œuvre einsteinienne. […] La discussion qui a suivi et à laquelle plusieurs mathématiciens ont pris part, a fait ap- paraître qu’au point de vue logique toute la doctrine relativiste est cohérente, et complète- ment exempte de contradiction interne. Cela ressortait déjà implicitement de la discussion du Collège de France. Après les mathématiciens, les physiciens entrèrent à leur tour dans la discussion et di- verses questions, furent posées notamment, qui amenèrent Einstein à donner son avis sur quelques points fort intéressants relatifs à la cosmologie, et à la géométrie…et notamment à la quadrature du cercle. […] Après les hommes de science, les philosophes à leur tour posèrent à Einstein des ques- tions. L’ombre de Kant ayant été évoquée, Einstein ne cacha pas qu’il se sépare sur divers points, nettement, des idées du philosophe de Kœnigsberg, pour que le temps absolu et l’es- pace absolu étaient des notions a priori préexistantes en nous. La théorie de Relativité af- firme le contraire et mieux encore elle le démontre. Pourtant Einstein admire Kant par ailleurs. Il s’excuse d’ailleurs de ce que ses idées sur le kantisme ont d’un peu personnel non pas en disant: «Chacun a son Kant à soi» (ce qui est, disait un autre, un calembour datant de…Platon), mais en disant: «Chacun a son Kant propre.» Ce propos prend toute sa saveur quand on se souvient que le «temps propre» est une des notions-mères de la Relativité. Einstein remarque d’ailleurs que les deux manières de concevoir les choses les plus opposées qu’on puisse imaginer sont, d’une part, l’aprio- risme kantien et, d’autre part, le commodisme de Poincaré. «Entre ces deux attitudes de la pensée, ajoute-t-il, il faut choisir selon l’expérience c’est tout ce que je peux dire.» On de- vine qu’il ne considère pas l’expérience comme ayant été favorable à l’apriorisme de Kant. [p. 159] [p. 160] [p. 161]