8 3 4 A P P E N D I X A —Ne croyez-vous pas que cette faculté de voir et de faire voir à la fois le comique et le tragique de l’aventure humaine caractérise son génie? —Oui! Oui!…Mais alors, c’est encore plus douloureux! —Le valet de Dorante, vous a-t-il amusé? —Beaucoup! Il y a dans la comédie française du dix-huitième siècle quelque chose de léger et de sûr. Dans aucun autre répertoire, la gaieté ne brille ainsi! —Vous savez, cette soirée termine si bien mon séjour à Paris! Dès que je fus arrivé ici, je me sentis content d’être venu mais en ce moment et sur le point de partir, mon plaisir est encore plus grand. —Vous souvenez-vous, dis-je, de l’appréhension que vous manifestiez, en décembre dernier, à Berlin, lorsque vous envisagiez la possibilité d’un tel voyage? —Oui. Mais, vous le savez, ce que j’appréhendais surtout, c’était la difficulté de m’ex- primer en français devant vos professeurs, devant vos étudiants. —Vous avez vu combien, sur ce point même, votre crainte était vaine! —Oh! Oh! fait-il en riant, c’est que j’avais toujours près de moi mon ami Langevin pour me souffler le mot qui me manquait! Tout ceci, il est vrai, me paraît à présent facile. J’ai été heureux de pouvoir exposer mes idées à Paris, dans le quartier des Ecoles, au Collège de France. C’était pour moi une chose très importante! La théorie de la relativité n’est pas aussi mystérieuse, aussi difficile à comprendre qu’on l’a dit! Pour tous ceux qui ont fait des études de mathématiques et de physique elle est très accessible. Cependant, il est vrai que parmi les mathématiciens et les physiciens l’on y fait encore beaucoup d’objections mais cela tient, je crois, à ce que l’on considère trop exclusivement les signes sous lesquels elle s’exprime et pas assez les choses! Il était donc nécessaire pour moi que je puisse rencontrer les savants français qui en avaient fait la critique et je crois que les discussions que nous avons eues ensemble, soit en public, soit dans le privé, m’auront permis d’éclaircir bien des points. Je veux vous dire combien j’ai été heureux surtout de rencontrer M. Painlevé! Je savais, avant de venir, que c’était un adversaire très sérieux mais dès notre premier entretien j’ai senti que je n’avais encore jamais eu, ni n’aurais sans doute jamais un tel adversaire, si in- formé de tous les éléments du problème, si merveilleusement disposé à en suivre et même à en devancer le développement, si capable d’en saisir presque instantanément tout le dé- tail! Dès les premiers mots que nous avons échangés, je me suis dit à moi-même: «Celui- là, c’est mon homme!» * Nous sommes entrés, le professeur Einstein, ses amis et moi, dans une petite brasserie de la rive gauche, toute pleine de monde malgré l’heure tardive. Attablé dans un coin, le savant est vite reconnu. Un jeune caricaturiste lui offre gaiement le croquis qu’il vient d’exécuter.