A N I N T E R V I E W W I T H E I N S T E I N 8 3 5 Cependant, j’interroge encore l’homme, dont l’extraordinaire simplicité, dont le naturel plus extraordinaire encore font si vite oublier à ceux qui l’approchent cette célébrité mon- diale qui rendrait tant d’autres distants, inapprochables. —Ce que je voudrais exprimer, me dit-il encore, c’est combien j’ai été heureux de sentir ici un tel intérêt objectif pour les choses, et puis de trouver dans tous les hommes que j’ai rencontrés une sympathie sincère! —Vous rappelez-vous les vues pessimistes qu’émettait à ce sujet Anatole France en dé- cembre dernier? —Oui, et c’est à lui-même que j’aurais voulu dire l’impression profonde que m’a causée mon séjour. En ce qui concerne les relations internationales, qui avaient fait l’objet de nos entretiens, j’aurais voulu lui dire combien j’ai été heureux de trouver à Paris une grande largeur de vues, une grande bonne volonté pour résoudre la question européenne, une manière de re- garder les choses nullement étroite, et un désir réel d’aboutir à la reprise des relations né- cessaires pour le travail intellectuel. On ne nie pas les difficultés, qui sont encore considérables mais on souhaite de pouvoir les surmonter et les résoudre. Enfin, abstraction faite des témoignages de sympathie personnelle que j’ai reçus, j’ai été heureux de sentir par instants, pendant la conférence du Collège de France, de la Société de physique, de la Société de philosophie, qu’au delà même de l’intérêt que les spécialistes portent à une question d’ordre scientifique, comme celle que pose la théorie de la relativité, naissait un intérêt plus général et qui vient de plus loin. J’ai eu l’impression que des ten- dances profondes vers un certain idéalisme se manifestaient à cette occasion et qu’un nom- bre de plus en plus grand d’esprits tend à se libérer d’intérêts purement immédiats et matériels, pour s’attacher à certains grands problèmes. Pour tout cela je suis content d’avoir fait mon voyage. * Nous sommes à nouveau dehors, formant un petit groupe solitaire sur la place Saint- Germain-des-Prés. L’horloge de la vieille église marque 2 heures. Le professeur Langevin me dit: —Nous partons dans cinq heures. Notre ami a désiré parcourir une partie de l’ancien front. Il faut que j’aille faire mes valises! dit le physicien. —Vous aurez, je l’espère, beau temps, pour parcourir demain les régions dévastées. Mais le plus beau temps du monde ne peut pas empêcher qu’un tel pèlerinage ne paraisse toujours sombre! —Oui, fait le physicien. Cependant, je veux le faire. Comment parler de choses que l’on ne connaît pas? Et moi, je désire parler de ces choses et des autres aux hommes de là-bas. —François Crucy.
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