E I N S T E I N D I S C U S S E S H I S T H E O R Y 8 3 7 était là légitime, autant on avait été impitoyable à les refuser à tout ce qui pouvait représen- ter le snobisme, le cabotinage ou la simple curiosité mondaine. Aussi, tout compte fait, je ne suis pas bien sûr qu’on aurait pu compter dans ce foyer des élégances intellectuelles une demi-douzaine de femmes vraiment élégantes. Dans cet écrin aux murs vétustes, où allaient briller les plus purs diamants de la pensée, un adroit voleur n’eût jamais pu dérober assez de joyaux pour justifier la moindre note aux gazettes. Cela encore était bien en harmonie avec les goûts d’Einstein. Mais voici que sur l’estrade qui occupe le côté inférieur de l’amphithéâtre, et où est dis- posé un petit pupitre entouré de quelques chaises, Einstein s’avance soudain, entre M. Mau- rice Croiset, administrateur du Collège de France, et M. Langevin, suivi des professeurs du Collège. Toute la salle se lève d’un seul mouvement, et elle salue le savant d’une acclama- tion formidable. Einstein parait ému et soucieux. En quelques mots parfaitement justes et fins, M. Maurice Croiset lui souhaite la bienvenue et lui dit la fierté qu’a le Collège de France de le recevoir. Ce que M. Croiset ne dit pas,—mais ce dont tous les idéalistes de ce pays lui sont reconnaissants—c’est la part qu’il a prise personnellement, et non sans cou- rage, à la venue d’Einstein dans cette maison vénérable, qui s’est montrée une fois de plus digne de ses hautes et libres traditions. En quelques phrases, Einstein, toujours debout, remercie de sa voix chantante et douce, peu assurée d’abord. Il remarque d’un mot discret, que sa présence en ce lieu est le signe heureux que la science n’est plus menacée par la politique. Puis il s'assoit: la salle respec- tueuse, et qui était, elle aussi, restée debout, fait de même. Aussitôt, et sans aucune transition,—Einstein néglige tout ce qui est proprement oratoire,—il se met nous parler de la théorie de la Relativité. Sa diction est lente. On sent que ces mots ne vont pas assez vite pour suivre le bataillon bien ordonné et rapide de ses idées. La voix est caressante et d’un timbre assez grave et vi- brant. Henri Poincaré avait, lui aussi, une voix d’une extrême douceur, mais dont la sonorité était encore plus basse que celle d’Einstein. Celui-ci n’ignore aucune des finesses de notre langue qu’il prononce avec un léger accent. Il dit «les ékations,» «la rélativité,» «la kinématique.» Tandis qu’il parle, ses yeux, dont les sourcils très inclinés sur les orbites convergent en accent circonflexe vers le milieu du front, semblent dirigés très loin, bien loin de ces regards ardents du public dont il est le lieu géométrique. Ce qu’ils contemplent, ces yeux, ce sont les régions sereines où la pensée du savant synthétise les merveilles de la ma- tière et de l’énergie. Cette contemplation idéale n’est pourtant point celle d’un rêve ce qu’elle scrute ce sont les réalités vivantes, ce sont les choses telles qu’elles sont sensibles car, pour Einstein,— et il ne cessera d’insister sur cette idée qui le sépare de certains de ses commentateurs, — l’abstraction mathématique n’est point une chose ailée qui peut s’égarer au hasard elle n’est et ne doit être que l’humble servante des choses telles qu’elles existent réellement. De temps en temps, il se penche vers M. Langevin assis à sa gauche et un peu en retrait, pour obtenir le mot nécessaire, le mot français qu’il a peine, suivant son expres- sion, à « extraire de sa gorge. » Parfois, c’est un vocable anglais qui lui vient aux lèvres, et je l’entends murmurer «assumption,» tandis que M. Langevin doucement lui souffle: « hypothèse. » Mais ces [p. 132] [p. 133]