DOC. 131 DISCUSSION ON RELATIVITY 237 100 [M. Brunschvicg.] bulletin de la societe francaise Or, en prenant pour base de reference le monde kantien, je vou- drais essayer de definir, en peu de mots, quelle est, pour les phi- losophes, la portee de la transformation operee par la decouverte du monde einsteinien. Le monde kantien a, d'une part, un contenant : l'espace et le temps d'autre part, un contenu : la matiere et la force. Il y a donc deux sortes de questions ä etudier successivement: problemes du contenant, qui sont l'objet de l'Esthetique transcendentale problemes du contenu, qui sont l'objet des Analogies de l'Expe- rience dans la Logique transcendentale. Les premiers concernent la mathematique les seconds la physique. Ceux-ei ne pourront etre abordes que lorsque ceux-lä auront ele resolus. Le monde einsteinien se caracterise par ce fait qu'il ne permet plus de separer contenant et contenu. On n'y a plus affaire ä l'espace de Kant, norme de l'intelligible et receptacle du reel, qui se constituerait par soi, se fermerait sur soi, en attendant que les choses viennent le remplir, encore moins au temps arithmetique, qui est congu vide et homogene, par analogie avec un espace lui- meme vide et homogene. Et pas davantage il n'y a un univers du physicien qui se definirait par son contenu, independamment des formes spatiale et temporelle dans lesquelles il prend place. Pas de probleme donc qui porte sur la mati&re eonsideree comme substance en soi, ou sur la force consideree comme cause en soi. Or, que cette transformation provoque chez le philosophe une intense joie intellectuelle, un mot permet de le comprendre. La conception kantienne nous jetait dans les antinomies la conception einsteinienne nous en delivre. Les deux premieres antinomies de Kant sont appelees par lui antinomies mathematiques : elles mettent en evidence la necessite rationnelle et l'impossibilite tout aussi rationnelle de concevoir comme finis l'espace et le temps, de poser un element simple et indivisible. La mathematique faisait ainsi payer les services incomparables qu'elle a rendus & la science physique, en embarrassant de difficulty inextricables la philoso- phie de la physique. De fait, quand il s'est agi de decider comment on pouvait passer des cadres de l'espace et du temps aux realites de la matiere et du mouvement, on s'est heurte ä des contradictions insolubles - temoin Descartes definissant le mouvement comme une relation pure, et le traitant pourtant comme l'absolu du reel - temoin Laplace s'appuyant sur la mecanique newtonienne et pour- tant concevant l'univers comme pouvant se dilater ou se retrecir sans que puissent s'en apercevoir des &tres places, par on ne sait quel miracle, en dehors de l'univers dont ils seraient, suivant son expression si singuliere et si frappante, les observateurs.