8 3 8 A P P E N D I X B petites pauses, qui ralentissent parfois son débit, ne sont point sans agrément, car elles lais- sent le loisir à l’auditeur de mieux coordonner les raisonnements dont la succession, extraordinairement dense, fait de cet exposé le plus riche creuset à idées qu’on puisse ima- giner. Et puis, comme pour atténuer la sévère gravité du discours, chaque fois qu’un mot ne vient pas facilement, Einstein sourit en attendant que M. Langevin lui livre le terme désiré, et ce sourire, si bien rendu par l’artiste Choumoff, a quelque chose d’infiniment séduisant il me semble qu’il est comme un regret courtois, comme une prière de ne se point fâcher de ces petites hésitations purement philologiques. D’ailleurs Einstein parle sans aucune note, le regard très haut. Son geste habituel consiste à lever lentement les deux mains dont le pouce et l’index réunis semblent tendre entre elles et détendre successivement un fil invisible, le fil soyeux et souple de la démonstration. Dans cette première séance, Einstein a déclaré dès le début vouloir se borner à une sorte d’exposé général des principes de la Relativité, ou plutôt de la méthode employée dans l’élaboration de cette théorie. Les séances ultérieures, a-t-il aussitôt ajouté, seront entière- ment réservées à la discussion. A vrai dire, dès cette séance initiale Einstein a, par son exposé même, amorcé la contro- verse et discuté avec la plus vive précision quelques-unes des critiques qui lui ont été adressées, quelques-uns des malentendus qu’a soulevés la doctrine nouvelle. […] Dans sa partie purement didactique, l’exposé d’Einstein a d’ailleurs simplement consisté à rappeler les bases essentielles de sa théorie. […] Reste la partie proprement cri- tique et méthodologique de l’exposé, qui donne à celui-ci son originalité, dont je me propose maintenant d’exprimer, aussi simplement que faire se pourra, le profond intérêt et les convaincantes conclusions. […] Or, le contenu physique, base de toute la théorie de Relativité, c’est l’existence et l’invariance d’une quantité mesurable avec des règles et des horloges, quantité qu’on appelle l’« intervalle » des choses et qui n’est ni leur distance dans le temps, ni leur distance dans l’espace, mais, — mes lecteurs s’en souviennent, — une sorte de conglomérat de l’es- pace et du temps. C’est sur la croyance à l’existence réelle de cette donnée physique qu’est fondée toute la synthèse d’Einstein. Si cette donnée n’existe pas, — et ceci est justiciable de l’expérience et des instruments dont le physicien dispose, — toute la théorie n’est plus q’un jeu de for- mules mathématiques et s’évanouit. Mais Einstein parait assez tranquille à cet égard et il faut reconnaître que sa tranquillité est étayée par de solides appuis. Ce sont, — en dehors de toutes les vérifications de la mécanique classique qui vérifient également la mécanique einsteinienne, — ce sont les admirables vérifications expérimentales des découvertes phy- siques (déviation de la lumière par la pesanteur, explication de l’anomalie de la planète Mercure) auxquelles a conduit la théorie nouvelle. Tandis qu’il parlait de ces choses, les hésitations verbales d’Einstein, sa connaissance imparfaite de notre langue, lui ont inspiré d’ailleurs quelques néologismes savoureux. Mais lorsque, faisant allusion à la mécanique classique, qui diffère autant de la sienne que [p. 134] [p. 138] [p. 139]