E I N S T E I N D I S C U S S E S H I S T H E O R Y 8 3 9 l’immobile chrysalide du papillon rapide, Einstein parla de l’ « antique mécanique, » je me suis demandé si l’impropriété du qualificatif ne cachait pas un peu d’ironie voulue. […] Telle est l’impression essentielle que nous laissa Einstein le 31 mars lorsque, ayant achevé par quelques considérations cosmologiques, — sur lesquelles je reviendrai, — cet exposé pénétrant et nu, dont la seule éloquence jaillissait des faits et de la raison, le grand physicien se leva au milieu des applaudissements. *** La première séance de discussion a eu lieu le 3 avril dans l’amphithéâtre de physique du Collège de France qui est encore plus exigu que le « grand » amphithéâtre où Einstein avait parlé le vendredi précédent. L’assistance était composée presque exclusivement de savants, de philosophes, d’hommes d’étude, au premier rang desquels le docteur Roux, sa pâle fi- gure d’ascète coiffée de sa petite calotte traditionnelle, M. Bergson, Mme Curie et un grand nombre de membres de l’Académie des Sciences. La séance sera consacrée exclusivement aux questions que soulève la Relativité restreinte. Einstein est assis à côté de M. Langevin devant une petite table, sur un des côtés du gigantesque tableau noir où se marquera tout à l’heure l’ardeur dialectique des partenaires. Il est d’abord question de l’expérience de Michelson […] que si la contraction apparente des objets par la vitesse est déduite directement de l’expérience de Michelson par la théorie, le ralentissement apparent des temps ne découle de celle expérience qu’indirectement. Des expériences permettront peutêtre quelque jour de le déduire de l’observation des rayons ca- naux ou de celle des éclipses des satellites de Jupiter […] La fin de cette première séance de controverse et le début de la séance suivante (qui eut lieu le 5 avril) furent occupés presque tout entiers par une discussion passionnante que sou- leva M. Painlevé qui, à la joie de ses amis, avait lâché pour quelques heures la politique. Cette discussion a contribué à éclaircir définitivement un des points les plus délicats de la théorie de Relativité restreinte. Ce fut un fort curieux et intéressant spectacle que cette discussion animée et toujours courtoise dans sa parfaite objectivité. Au vrai, M. Painlevé n’a jamais cessé de témoigner publiquement en toute occasion son admiration pour le génie d’Einstein. Il y a quelques se- maines, lorsqu’une place de correspondant pour la Section de Mécanique se trouva vacante à l’Académie des Sciences, quelques voix allèrent à Einstein, qui n’était d’ailleurs ni can- didat, ni présenté. Parmi ces voix, M. Painlevé se plut à proclamer qu’il y avait la sienne. C’est à cette occasion qu’un membre, d’ailleurs fort éminent, de l’Académie eut ce mot dé- licieux: « Comment! Vous voulez nommer membre de la Section de Mécanique cet Einstein qui détruit la mécanique? » […] Donc M. Painlevé n’a jamais cessé de saluer en Einstein un des génies les plus étonnants qu’ait vus l’histoire de l’esprit humain. De son côté, je sais qu’Einstein professe pour les travaux du célèbre géomètre français, la plus sincère admiration. Dans ces conditions, l’at- mosphère où s’ouvrait la conversation des deux savants, était infiniment propice à ces chocs heureux où s’affrontent et s’animent les intelligences sincères et d’où jaillit plus de lumière. [p. 140] [p. 141] [p. 143] [p. 144]