E I N S T E I N D I S C U S S E S H I S T H E O R Y 8 4 1 La réponse d’Einstein a complètement dissipé le malentendu, — car il ne s’agit, comme on va voir, que d’un malentendu, — et a, suivant sa propre expression, «mis en évidence le paradoxe.» Voici, ramenées à ses éléments primordiaux et débarrassées de leur terminologie technique, comment se peuvent résumer les explications du grand physicien, dont l’évidence démonstrative était, — encore qu’un peu cachée, — implicitement conte- nue dans la théorie de Relativité: […] La réponse est la suivante: Dans la Relativité Restreinte, seuls les systèmes en mouve- ment uniforme, au sens galiléen du mot, jouissent d’une réciprocité, au point de vue de la mesure de l’espace et du temps, mais il n’en est pas de même des systèmes en mouvement accéléré. Cela a été signalé nettement dès 1911 (à l’époque où Einstein n’avait pas encore construit la Relativité généralisée) par M. Langevin dans un mémoire remarquable sur l’Évolution de l’espace et du temps. […] L’intéressante et si suggestive discussion soulevée par M. Painlevé sur ce sujet particu- lier et qui marqua le point culminant des discussions du Collège de France, a eu l’avantage de mettre en évidence avec éclat le fait que la «Théorie de Relativité restreinte» laissait en réalité subsister en mécanique des mouvements privilégiés, des axes de référence en quel- que sorte absolus au sens galiléo-newtonien du mot. Certains avaient eu assurément tendance à l’oublier, mais tel n’a jamais été le cas d'Einstein. […] Lorsque s’ouvrit la séance de discussion du mercredi soir 5 avril, M. Langevin pria d’abord ceux qui se proposaient d’intervenir de ne pas parler pendant plus de vingt minutes chacun. «Vingt minutes à ma montre» ajouta-t-il au milieu des rires. On ne saura jamais si c’était là seulement une allusion au «temps propre» de chaque système de référence, ou si ce n’était pas plutôt une conséquence de la nécessité pratique de définir les choses par une unité arbitraire peut-être, mais univoque. […] [L]a parole fut donnée à M. Édouard Guillaume. M. Édouard Guillaume est un physicien suisse. Les jours précédents, la plupart des journaux avaient inséré une note communiquée par les agences annonçant que ce physicien avait découvert dans la théorie d’Einstein des fautes de calcul grossières, et qu’il se proposait coram populo d’établir au Collège de France. Ces erreurs devaient naturellement entraîner l’écroulement complet de la synthèse d’Einstein, la banqueroute totale de ce Law de la Science. A vrai dire, tous ceux qui ont suivi, en connaissance de cause, la suite des développements analytiques de la théorie d’Einstein, ceux qui savent qu’après une étude minutieuse M. Hadamard, le profond ma- thématicien, successeur d’Henri Poincaré, a proclamé que, mathématiquement parlant, l’édifice einsteinien est d’une parfaite et rigoureuse cohérence, sans une fissure logique, sans un défaut formel ceux-là, dis-je, avaient été un peu surpris de la nouvelle trompetée dans la presse par celui qui devait, en cinq sec, pourfendre le pauvre Einstein. M. Guillaume prit donc la parole par un exorde «Mesdames, Messieurs,» qui étonna. Puis, il se mit à aligner ses formules sur le tableau où, roses tendre et bleus, d’ingénieux graphiques avaient été d’avance épinglés. Au bout de quelques instants il devint évident que ce ne serait point encore ce jour-là, ni de cette main, qu’Einstein mordrait la poussière. Quand l’orateur eut achevé, il ne fallut pas plus de deux secondes à ceux qui avaient com- pris, et tous les assistants étaient dans ce cas, pour ramener l’intervention tant claironnée à [p. 150] [p. 151] [p. 152] [p. 153]