DOC. 166 THE N E W I N S T I T U T E 305 L'E UROPE NOUVELLE Portrait du jour M. Edouard Daladier ministre do l’instruction publique Le jour même où paraitra le présent numéro de L 'Eu- rope Nouνelle, M. Edouard Daladier, grand-maitre de l'Université, prononcera pour l’inauguration de l'Institut international de Coopération intellectuelle un discours dont il a bien voulu donner à nos lecteurs la primeurs des passages essentiels. Ancien ministre des colonies et de la guerre, M. Daladier est un jeune ministre. A 4 l ans. il a derriere lui une belle carrière universitaire, et devant lui une plus belle carrière d'homme d'Etat. Jusqu’à ces dernières années. le Parlement comprenait un très petit nombre d'universitaires. Dans les groupes et comices politiques, les jeunes professeurs de nos lycées et facultés cédaient volontiers la place aux avocats et aux médecins. Dans d’autres pays, et par cxemple en Alle- magne, 1' « avancement » des professeurs, leur progression dans la carrière se fait sur place. En France, les membres du corps enseignant progressent par mutations fréquentes d’un poste à un autre, et leur vie est d’autant plus nomade qu'ils ont plus de mérite. Ils restent trop peu de temps dans chaque résidence pour se méler à ]a vie politique locale et. d’autre part, bezucoup d'entre eux, après quelques années de pérégrinations, se trouvent déracinés de leur province natale. A outez que leurs habitudes d’esprit, le caractère désintéressé de leurs études, la dignité. I'austérité, la tradi- tion un peu fermée de leur profession, quelquefois même certains préjugés intellectuels les détournent de la lutte po- litique, et leur font préférer au gouvernement des généra- tions adultes l'éducation de la France qui vient. Les cho- ses ont d'ailleurs changé depuis la guerre, et le nombre devient moins grand des universitaires qui croiraient déro- ger s’ils ne restaient pas hors de la mêlée. M. Daladier, brillant agrégé d’histoire, a passé rapide- ment, dans les sept ou huit années qui ont précédé la guerre, du lycée de Nimes au lycée de Grenoble, et du lycée de Grenoble au lycée de Lyon (où il s’est lié d’une étroite amitié avec M. Herriot) puis il a fait campagne, et a été appelé à une chaire du lycée Condorcet. Au temps où la vie était heureuse et facile, il avait pris un congé d’un an pour aller rassembler, à Florence et à Ro- me, les matériaux d’une Vie de Mazzini. Mais il n’avait pas rompu ses racines. Provençal du Comtat, fils de pay- sans, il revenait aussi souvent qu’il pouvait dans la douce terre de Vaucluse, où l'ardeur un peu sèche du vrai Midi se tempère à la fraicheur des fontaines, s’humanise et s’attendrit. En 1919, ses compatriotes, qui savaient ce qu'ils faisaient, l'envoyèrent à la Chambre, où il entra sans fracas et se mit modestement au travail. Méridional, M. Daladier parle peu et parle simple- ment, sans phrases et presque sans gestes. Universitaire, il n’a pas le ton doctrinal, et ne fait pas étalage de sa haute culture. Aimable et courtois sans vulgarité, laborieux sans affectation, ferme dans ses opinions et curieux du jugement d’autrui, il a vite gagné l’estime, la confiance et la Sym- pathie de ses collègues, et il est « arrive » en donnant l'impression qu'il n'était pas pressé. Dans les commissions et, plus tard, dans les trois grands ministères qui lui ont été confiés, il a travaillé, il a nettoyé, il a préparé l’avenir, il a laissé sa trace, qu’il reprendra et suivra. Son program- me de réformes coloniales, son plan de réorgansation de l'armée sont des ouvrages interrompus qui devront être repris. Marcel Ra y . 69 Le nouvel Institut doit ac- quérir la confiance et l ’estime des travailleurs intellectuels de tous les p a ys. Pour la première fois cette année, l’activité des gouvernements européen s s’est inspirée de la con- viction que notre continent ne retrouvera sa pros- périté que si un terme est mis enfin aux perpétuelles rivalités des groupements nationaux. Il faut conso- lider d’abord l’organisation politique de l’Europe et préparer peu à peu l'abaissement des frontières économiques. Ce but ne saurait être atteint uniquement par des traités entre Etats. Il y faut aussi, avant tout, une préparation des esprits. Nous devons nous efforcer d’éveiller peu à peu un sentiment de soli- darité qui ne s’arrête pas, comme jusqu'ici, aux frontières. C’est dans cet esprit que la Société des Nations a institué la Commission de coopération in- tellectuelle. Cette Commission doit être un orga- nisme absolument international, détaché de toute politique, ayant pour but de rétablir, dans tous les domaines de la vie intellectuelle, les liens entre les milieux intellectuels nationaux isolés par la guerre. C’est une tâche difficile, car il faut malheureuse- ment dire que les savants et les artistes — au moins dans les pays que je connais d’assez près — se laissent bien plus guider par des tendances na- tionales étroites que les représentants de l’activité économique. Jusqu’ici, cette Commission se réunissait deux fois par an. Pour rendre son ceuvre plus efficace, le gouvernement français s'est offert à créer et à entretenir, pour la Commission, un Institut perma- nent de Coopération intellectuelle, qui doit être inauguré ces jours-ci. Il y a là un acte généreux de la France qui mérite la gratitude de tous. C’est chose facile d’exprimer sa satisfaction, de distribuer des éloges et de garder le silence sur ce qu’on regrette ou n’approuve pas. Mais nous ne pouvons faire de progrès dans la voie où nous nous engageons que par la sincérité. Aux vœux que j’adresse à l'institution naissante, je joindrai donc une critique. J’ai tous les jours l’occasion de remarquer que le plus grand obstacle que rencontre l’œuvre de notre Commission est le manque de confiance en son objectivité politique. Il faudrait tout faire pour renforcer cette confiance et il faudrait s’abstenir de tout ce qui est de nature à la diminuer. Or, le fait que le gouvernement français crée et entretienne à Paris, avec les ressources de l’Etat français, avec un Français comme directeur, un Institut devant être l’organe permanent de la Com- mission, peut faire redouter une prépondérance de l’influence française au sein de la Commission. Cette impression est encore accrue par cet autre fait que, jusqu’ici, le Président de la Commission elle-même est un Français. Bien que les personna- lités dont il s’agit jouissent partout de la haute estime de tous et de la plus grande Sympathie, l’im- pression n’en subsiste pas moins.